Reportage Covid-19 / L’achatiniculture et la sylviculture pour résister contre la pandémie

Une piste en latérite biscornue jonchée de plantations de cacaoyers, de palmiers, de caféiers, d’hévéas, de rizières, des kolatiers… signe que la région du Lôh Djiboua, département de Lakota (Côte d’Ivoire) est une zone à fort potentiel en terres cultivables et de l’activité économique prépondérante des peuples y vivant. L’agriculture vous ouvre ses bras. (Reportage 2ème partie)

De grosses crevasses gorgées de plaques d'eau, qui contraignent les usagers conduisant avec vélocité à tempérer leurs ardeurs par des coups de freins inopinés, intempestifs, à réduire leur allure effervescente. Des senteurs aromatisées de doux parfums de fèves de cacao séchées sur des tables artisanales ou à même le sol, titillées cordialement les fosses nasales des visiteurs qui, se surprenant à rêvasser, sont prématurément rappeler à l’évidence par des odeurs putrides de sèves en fouillis.

Après avoir dévalé 63 km d’une route grégaire parfois alternant asphalte et terre écarlate, jouée des coudes en rusant avec plusieurs prouesses en conduite routière, bravée de nombreux virages pernicieux, bercée par un vent chaud surchargé de poussière, en traversant à la lisière de quatre villages rustiques et la sous-préfecture de Kotchéri dans le département de Lakota – région du Lôh Djiboua, gît Akridou-Laddé.

C’est une grosse bourgade pleine de ruralité saupoudrée d’une couleur de modernité (essencerie, eau potable et électricité, architecture moderne) et compte 18.600 habitants (source : infirmier Major). Elle compte plusieurs regroupements économiques locaux dont la Coopérative SCOOPS.SOC.A2PD enregistrée sous le matricule RSC : CI-DIV-2015-C014 avec pour code : SC 07 0606. Elle a suscité la création du Groupement ‘’Bienvenue des Femmes d’Akridou-Laddé’’ (GBFAL) et cette structure a été porté sur les fonts baptismaux en avril 2019.

Ce regroupement constitué majoritairement de femmes de producteurs de ladite coopérative est composé de cent-sept (107) femmes repartis entre cinq (5) sous-groupes dont l’âge varie de 18-35 ans (38 femmes soit 36%), de plus de 36 ans (69 femmes soit 64%) (une femme âgée de 75 ans ferme la boucle) ; avec un taux d’analphabétisme de 86%. Le terme ‘’Bienvenue’’ n’est pas un choix fortuit, car, c’est la première fois qu’un projet d’une telle nature (projet Recover Africa) a été instauré dans ce hameau, bien que certaines femmes battantes s’activaient jadis dans une activité génératrice de revenus, une plantation de maïs sous la férule de la coopérative. Recover Africa a rencontré leur assentiment total. Réputée une association hétéroclite, GBFAL est composé de femmes ivoiriennes, burkinabé et maliennes.

Lire la 1ère partie : Reportage / Résilience économique Covid-19, le milieu rural ivoirien se réinvente pour survivre

Pour soumission au projet Recover Africa, les femmes de GBFAL ont présenté un projet d’agroforesterie qui s’est décliné en deux activités génératrices de revenus majeures : la production d’arbres d’ombrage et l’achatiniculture (escargotière).

Ce projet a été retenu et financé à hauteur de 25 000€ (16.000.000FCFA) englobant les charges suivantes : arbres d’ombrage (6.250.000FCFA) et escargotière (8.500.000FCFA). S’agissant de la sylviculture, ce sont des arbres forestiers tropicaux notamment le Ricinodendron heudelotii ou Njansang, appelé communément "Akpi" en Côte d'Ivoire, l’Acacia mangium et le Terminalia superba, le Fraké ou le Limba qui ont été choisis en raison de leurs caractéristiques écologiques, par exemple la protection de la biodiversité, la lutte contre la désertification et le changement climatique.

Une vue des escargots achatina-achatina dans l'escargotière d'Akridou-Laddé

Par ailleurs, ceux-ci contribuent au reboisement (reforestation) et garantissent une bonne pluviométrie. Elles totalisent 25.000 plants repartis par espèces : 15.000, 50.000 et 50.000 respectivement dans les localités de Kazérébéri, de Didoko et Gaboué. Ces arbres seront vendus aux producteurs à 200 Fcfa (0,3€) l’unité. Ce qui ferait une somme totale de 5.000.000 Fcfa (7620€) pour ces ouvrières.

Savadogo Rasmata, présidente de GBFAL soutient que si avant l’avènement du projet Recover, elle s’adonnait à la riziculture, ce n’était pour toujours le cas pour bon nombre de ses associées qui, pour d’autres, n’étaient que de simples ménagères, donc, sans revenus. « On a commencé par se regrouper, puis on a initié des cotisations mensuelles de 0,15 euro. L’idée du projet d’escargotière a germé mais on n’avait pas de moyens financiers pour débuter cette activité génératrice de revenu. On a pensé à cette activité comme une ressource financière additionnelle parce que la région est connue par être un lieu de commercialisation d’escargots par excellence. On n’a pas voulu se compliquer la vie, on a choisi de faire la production d’escargots un métier, notre profession », a expliqué Savadogo Rasmata, une quarantenaire non scolarisée mais une autodidacte détenant une parfaite maîtrise des techniques de l’achatiniculture.

Lire la 3ème partie : Résilience économique / Cultures maraîchères et escargots pour croiser le fer contre le Covid-19

Depuis la construction de 18 enclos (L 20 cm x l 11cm) dont 3 sont en usage, l’acquisition de ces mollusques reproducteurs de l’espèce Achatina achatina à la date du 30 avril 2021, les premières pontes ont démarré le 20 mai 2021 et a suivi la période d’incubation, les éclosions ont commencé le 12 juin 2021. À partir de décembre 2020, ces néophytes ont bénéficié d’un suivi-accompagnement et d’une formation continue dispensée à la fois entre théorie et pratique professée par le Dr. Aman Jean-Baptiste, enseignant-chercheur à l’Université Nanguy Abrogoua d’Abidjan Abobo-Adjamé de Côte d’Ivoire.

« Nos escargots sont élevés avec des aliments bio. Nous voulons faire une culture exclusivement Bio sans produits chimiques dans les aliments. Nous avons appris la fabrication de leurs aliments », a-t-elle rassuré, puis elle a ambitionné : « Mes associées et moi envisageons de conquérir le marché local, approvisionner les consommateurs nationaux, sous-régionaux et internationaux. A long terme, notre objectif est de faire de notre site un centre d’expérimentation universitaire en partenariat avec l’Université Nanguy Abrogoua d’Abidjan ainsi que la création d’un centre d’alphabétisation pour les femmes de notre groupement ».

Lire la 4ème partie : Covid-19 en milieu rural / Le projet Recover Africa, une aide financière qui redonne espoir

Cette bénéficiaire, loin ‘’d’être égoïste’’, a souhaité une pérennisation dudit projet afin d’accroître le nombre des récipiendaires et réduire ainsi la pauvreté grandissante en milieu rural. C’est alors avec beaucoup d’émotions que cette ancienne rizicultrice qui dit s’être investie corps et âme dans le projet Recover a fait savoir : « Nous n’avons encore fait de vente mais je suis heureuse de savoir que nous avons réussi. C’est une fierté pour moi. Ce projet a le mérite d’exister parce qu’il nous a réunies par rapport à un même objectif (gagner des revenus additionnels), promues la cohésion sociale et renforcer l’unité et la solidarité entre nos différentes communautés. Aujourd’hui, grâce à la sensibilisation initiée par Fairtrade Africa à travers le projet Recover, il y a un changement de mentalités en cours dans le domaine du foncier. Par exemple, mon mari m’a cédé, contre cette hérésie culturelle qui suggère que les femmes n’ont pas droit aux terres cultivables, une parcelle de 1,126 ha. Je l’ai exploitée en y cultivant du cacao et j’ai eu 95.000 Fcfa (145 euros). C’était beaucoup d’argent pour moi parce que c’était la première fois que je recevais une somme pareille. Mon mari a refusé cet argent en soutenant que c’était le mien, le fruit de mes efforts. Cela m’a plu… ». A l’unisson, les femmes présentes ont traduit leur gratitude aux institutions donatrices que sont le GIZ et le Fairtrade Africa pour leur participation au développement endogène.

Des témoignages édifiants sur l’usage rationnel et efficient des revenus issus du projet Recover ont été fait par des membres de la GBFAL. Tandis que Berthé Awa, mère et commerçante, se félicite de l’appui financier du projet, elle caresse le désir de s’acheter à terme un lopin de terre pour y construire son logement pour ses vieux jours ; Ouédraogo Habiba, de profession commerçante et membre de la même association, de son point de vue, souhaite réinvestir sa quote-part de l’usufruit du projet dans son business personnel et pouvoir ainsi financer la scolarité de ses cinq (5) enfants encore sur les bancs de l’école. Quant à Bodji Mireille, mariée et agricultrice, elle veut créer des plantations de cacao, d’hévéa et palmier pour aider à l’éducation de ces enfants.

Toutes les 107 femmes de la GBFAL sont conseillées et coachées par Koffi Hortense, responsable locale de la cellule sociale, autonomisation de la femme, promotion du genre et travail des enfants.

Lire la 1ère partie : Reportage / Résilience économique Covid-19, le milieu rural ivoirien se réinvente pour survivre

Lire la 3ème partie : Résilience économique / Cultures maraîchères et escargots pour croiser le fer contre le Covid-19

Lire la 4ème partie : Covid-19 en milieu rural / Le projet Recover Africa, une aide financière qui redonne espoir

Par Patrick Krou

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